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CAN 2004 : SENEGAL

Alain Moizan : «Je vois le Cameroun gagner »   

L’ancien international Alain Moizan a entraîné pendant quatre saisons au Sénégal, où il a remporté le titre de champion national en juin 2003 avec la Jeanne d’Arc. Il a vu de près la liesse populaire née des exploits de 2002, mais aussi la dégradation croissante des conditions de jeu. Aujourd’hui, il est très pessimiste pour l’avenir de la sélection sénégalaise.

Alain Moizan, vous étiez l’entraîneur de la Jeanne d’Arc, à Dakar, jusqu’en juin 2003. Quel a été l’impact, au Sénégal, du quart de finale atteint par les joueurs de Bruno Metsu à la Coupe du monde 2002 ?

Hormis l’enthousiasme des gens, il ne s’est rien passé. Rien, en tout cas, pour la progression du football ou l’amélioration des structures. Les gens sont très déçus par l’absence de retombées. Il y a eu de forts soupçons de corruption sur les dirigeants. Les 7 millions d’euros engendrés par le Mondial donnent l’impression d’avoir été dilapidés. (Ndlr : El-Hadji Malick Sy, président de la fédération pendant trois ans, a démissionné en octobre 2003 après un réquisitoire du ministre des Sports contre sa gestion). Pour les entraîneurs, les conditions se sont dégradées au cours des dernières années. Il y a peu de terrains, ils sont mal entretenus, et ils sont utilisés par un nombre croissant d’équipes.

Comment est-ce possible ?

Il y a là-bas un véritable engouement pour un championnat parallèle qui s’appelle le championnat Navetanes, ce qui signifie «vacances» en wolof. C’est une compétition organisée pour occuper les gens, de façon plus ou moins sauvage, quartier contre quartier, sans maillots, dans l’improvisation la plus totale. Ce championnat s’est structuré car les hommes politiques ont compris quel bénéfice électoral ils pouvaient retirer de leur rapprochement avec ces clubs de quartiers. Donc ils les ont financés, et aujourd’hui ce championnat, qui est d’un niveau technique très médiocre, a plus d’impact que le championnat de D1. Il capte les meilleurs terrains. Il se joue parfois cinq ou six matches en une journée sur les pelouses. Pourquoi, dans ces conditions, le Sénégal est-il parvenu à obtenir de tels résultats en 2002 ? Ces résultats sont totalement artificiels dans la mesure où ils n’ont rien à voir avec un quelconque effort national. C’est la réussite d’une génération spontanée de joueurs qui ont tenté leur chance, chacun de leur côté, en partant d’eux-mêmes en France. Car pour le reste, c’est l’improvisation à tous les niveaux. La Coupe du monde, c’était un miracle, on ne peut pas parler d’autre chose.

«DIOUF A SEPT OU HUIT ANS DE PLUS»

Aujourd’hui, les Sénégalais ont-il les moyens d’être cham-pions d’Afrique ?

J’en doute. Tout le monde s’attend à les voir jouer le titre puisqu’ils ont été finalistes en 2002. Mais ils vont rencontrer plusieurs difficultés. Déjà, ce ne sont plus des inconnus. En plus, les meilleurs joueurs sont vieillissants. Diouf a sept ou huit ans de plus que son âge déclaré, c’est presque légal au Sénégal. Quand il sera moins bien, ce sera déjà très différent, car il porte vraiment cette équipe. Il est le seul joueur créatif, capable de faire la différence. Déjà que Fadiga n’est plus là... Derrière Coly, Cissé ou Fadiga, je ne vois pas de relève. Diao ne joue jamais à Liverpool. Camara peut jouer sur sa vitesse, il court beaucoup mais il est un peu chien fou. Bouba Diop est grand et physique, mais c’est tout. S’ils vont en quart de finale, ce sera déjà bien. Je suis dur mais réaliste. Niang pourra peut-être apporter quelque chose s’il joue régulièrement. Ils ont pris Sakho. Il faut voir. Il a toujours eu des problèmes d’efficacité.

Le niveau des joueurs qui sont restés au Sénégal n’a pas progressé depuis 2002 ?

Déjà, il y a un nombre incroyable de joueurs en France. Et les autres, ils veulent tous partir, pour des raisons économiques, ce qui rend plus difficile le travail en club. Vous ne savez jamais si tout l’effectif sera là à l’entraînement. Les joueurs peuvent partir du jour au lendemain. Et c’est très frustrant car il y a un potentiel humain énorme : de bons joueurs, à l’écoute, prêts à travailler. Mais à part ça, les terrains sont des champs de patate, les gars n’ont pas de chaussure, pas de matériel pédagogique, les conditions de rassemblement de l’équipe sont prises à la légère. Les dirigeants ne sont pas à la hauteur. Tout le football en souffre.

Il n’y a donc aucune solution locale possible pour prendre la relève ?

C’est difficile car il y a un autre problème : beaucoup de joueurs sont au Sénégal mais ils ne jouent pas. Vous avez là-bas des gens qui se disent manager et espèrent transférer d’autres joueurs en Europe pour toucher un pourcentage. Pour ça, ils créent des écoles, de vingt ou trente joueurs, qui ne jouent jamais en compétition car tout licencié doit appartenir à un club. Ce n’est que de l’entraînement. Ils appellent ça des centres de formation. Ceux qui en sortent vont généralement en France, mais ils sont loin d’avoir le niveau L1. Ils naviguent dans les clubs amateurs. Entre les bons joueurs sénégalais qui quittent naturellement le pays et ceux qui ne jouent pas, le niveau du championnat baisse nécessairement. Disons que certaines équipes auraient leur place en National. Il y a beaucoup de pression sur les entraîneurs, mais personne dans les stades. Pour le derby, on avait 1000 ou 2000 personnes. On a joué la Ligue des cham-pions devant 500 à 1000 personnes.

Si le Sénégal ne fait pas partie de vos favoris, qui placez vous dans cette catégorie pour la CAN tunisienne ?

Le Cameroun est l’équipe africaine avec un grand «E». Elle découvre sans cesse de nouveaux talents. Elle est bien préparée. Je la vois bien gagner encore. Attention aux Tunisiens chez eux, ils ont battu tout le monde en amical. Les Égyptiens ont gagné dix matches pour deux défaites en 2003. Ils ne seront pas loin. Après, c’est du classique : l’Afrique du Sud solide sans être géniale, le Nigeria parfois génial mais inconstant, avec de bons créateurs. On ne devrait pas voir de surprise.

 Propos recueillis par Cédric ROUQUETTE (L’Equipe.fr)

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